Saturday, August 16, 2008

Quel statut pour un enfant issu de la pratique I.A.D. ?


L’Insémination Artificielle avec Donneur de sperme, en abrégé, I.A.D., ne va pas sans susciter des questions relatives à la définition du couple, de la famille, de la paternité, de la filiation, qui concernent les fondements traditionnels de la société. Par le fait que le sperme doit demeurer anonyme, l’I.A.D. modifie des identités individuelles et des modalités de liaison intra- et inter-générationnelles. Ces enfants qui naissent sans connaissance d’un père précis nous ramène à l’époque des sociétés primitives, lorsque les hommes et les femmes vivaient séparément et que les enfants ne reconnaissaient que leurs mères.
En modifiant les règles élémentaires qui régissent la société humaine, l’I.A.D. s’attire le courroux des africains qui voient en l’enfant non seulement un trésor familial mais aussi et surtout l’avenir du clan, de la tribu, bref, de la société en général. Le fait de procréer un enfant en déhors du couple fait perdre la crédibilité de l’I.A.D. en Afrique, car elle s’écarte de la logique formelle de l’existence de l’humanité. Or, qui dit couple ou famille, évoque le mariage ; en Afrique, le mariage est conditionné par la remise obligatoire de la dot. Contrairement à l’I.A.D. qui produit des enfants sans statut, la dot, par contre, régularise les enfants en leur confèrant le droit à la filiation, comme nous allons le démontrer ci-dessous.
1. La Dot pour confirmer la paternité
Dans la conception africaine, la femme est toujours vue sous l’angle du potentiel de reproduction, car on se marie pour avoir des enfants. Mais alors, le seul fait biologique ne suffit pas pour que l’homme recouvre ses droits de paternité sur les enfants nés. La Dot donne la légitimité à l’homme sur les enfants nés de sa femme[1].
C’est ainsi qu’en cas de divorce, la famille de la femme ne restitue pas la dot et l’homme garde les enfants, de droit. L’enfant qui naît d’une femme non dotée, revient de droit à son grand-père maternel. Ainsi donc, la dot est signe de légitimité des enfants issus de l’union matrimoniale.[2]
2. La Dot dans la transmission du nom
Dans le système patriarcat, le père a toujours eu le privilège de la transmission du nom. Le nom du père est présumé être un garant contre l'inceste : les filles portent le nom de celui qui n'a pas le droit de les toucher – leur père, leurs frères.
Ainsi dit, quoique cela puisse se produire dans une probabilité très reduite, l’enfant issu de la pratique de l’I.A.D. est fort exposé à l’inceste car ne sachant pas les personnes pour lesquelles la société lui interdit de toucher ; c’est un enfant ‘naturel’ au sens strict du mot car le coeur où palpite sa vie lui est donné par un ‘père-monstre’, bref, dans la philosophie africaine en général et congolaise en particulier, c’est un enfant hors-la loi.
Toujours, suite à la Dot, les sexes ne sont pas égaux en matière de procréation. La tradition patrilinéaire est peut-être ringarde mais, quoi que l'on y fasse, les femmes portent les enfants et pas les hommes. Dans la même logique, en attendant le jour où l'on mettra au monde des enfants sans l'utérus de leur mère, il est important que l'enfant garde le nom de son père, justement à cause de cette inégalité fondamentale. Alors que tous les repères familiaux explosent, entre autres par la pratique de l’I.A.D., le nom reste l'un des éléments forts de paternité. Celle-ci étant de plus en plus fragile, il faut conserver ce repère-là parce que nous vivons dans des sociétés qui en ont énormément besoin.
2. La Dot et la problématique de filiation
Si la filiation est obligatoire telle qu’indiquée ci-haut, la paternité l’est aussi, et c’est la Dot qui la confirme. Les exemples qui suivent démontrent qu’il y ait eu des enfants qui grandissent dans les bras de ceux-là qui ne sont pas vraiment leurs parents consanguins.
Il est connu que la filiation maternelle résulte du seul fait de la naissance ; elle s’établit par l’acte de naissance. En d’autres termes, il est établi que la filiation d’un individu descend en priorité de sa mère. Mais pour déterminer avec certitude la vraie mère d’un enfant, aujourd’hui, aussitôt que l’enfant est né dans une maternité, on lui attache un symbole au bras indiquant le nom de sa mère. Si l’enfant sort de la salle d’accouchement sans que ces préalables soient faits, il y a risque que l’histoire du Roi Salomon[3] et les deux prétendantes mères se repète. En effet, il n’y avait pas, en leur temps, un moyen beaucoup plus sûr de déterminer la vraie mère de l’enfant vivant. Mais la manière dont ce Roi avait tranché un problème aussi épineux comme celui-là lui a valu le mérite d’être le Roi Sage de tous les temps. Quoique cette belle histoire date de près de 1.000 ans avant Jésus-Christ, la problèmatique persiste jusqu’à nos jours en Afrique traditionnelle. Aujourd’hui, trois mille ans après le jugement de Salomon, certaines cultures africaines continuent à soutenir que les mères ne transmettent rien à leurs enfants. Les Aruund de la République Démocratique du Congo croient, par exemple, en la théorie selon laquelle la conception de l’enfant serait déterminée par la seule intervention de l’homme, par l’éjaculation dans l’organe génital femelle. Dans cet ordre d’idées, la femme ne constituerait qu’un terrain de croissance du foetus.[4 ]C’est pourquoi, par ci par là en Afrique, on se limite plus à connaître le père d’un enfant que sa mère, car au nom de la Dot, la mère accouche d’un enfant qui ne lui appartient pas. Lorsque les Bashi disent : ‘mwene ndi oyo’ (il est fils de qui, celui-là) ; on répond par le nom de son père et jamais celui de sa mère.
Qu’allons-nous dire d’une fille aux multiples partenaires qui se retrouverait enceinte. Nous sommes ici dans un milieu traditionnel où le test ADN ne peut pas être effectué. Qui sera le père de l’enfant à naître ? La femme choisit ce dernier selon ses préférences : soit elle opte pour celui qui a plus de moyens, si elle est matérialiste ; soit elle désigne celui qui parait plus élégant, si elle est amoureuse. En ce cas, comme dans l’exemple biblique cité ci-haut, l’enfant est attribué par tatônnement à une personne qui devra servir de parent, alors qu’en réalité elle ne l’était pas. En République Démocratique du Congo , la loi sur la filiation stipule que filiation paternelle s’établit par la présomption légale en cas de mariage ou par une déclaration ou par une action en recherche de paternité. Nonobstant toute convention contraire, l’enfant né pendant le mariage ou dans les trois cents jours après la dissolution du mariage a pour père le mari de sa mère4. Et d’ajouter : l’enfant, issu d’une femme dont le mariage antérieur est dissout depuis moins de trois cents jours et qui est né après la célébration du mariage subséquent de sa mère, est tenu pour enfant des nouveaux époux, sauf contestation de paternité. Même ici, dans l’esprit de la loi congolaise en matière de filiation, la vraie paternité patauge.
Tel que dit ci-haut, un enfant issu de la pratique I.A.D. a le risque de perdre deux parents encore en vie car si par mégarde une erreur se produit, il peut grandir dans les bras d’une mère autre que la vraie, et surtout qu’il ne lui est pas donné de connaître le donneur du sperme dont il est issu : son père.
Heureusement grâce à l’A.D.N., on peut facilement palier à ces insuffisances qui caractérisent la croyance traditionnelle africaine. D’ailleurs la science n’en dit pas trop le contraire. Il est prouvé que grâce aux analyses de l’ADN, et en suivant le Y, on peut retrouver avec précision les ancêtres d’un homme allant jusqu’à 35 000 ans.
Nous ne saurons mettre un terme à ce sujet sur le statut de l’enfant issu de la pratique de l’I.A.D., sans évoquer une autre pratique, pas vraiment en vogue, mais qui existe en Afrique, lorsqu’il s’agit de trouver une solution à un cas de stérilité absolue : le ‘mariage homosexuel’.
En Afrique, on ne parle que mariages entre lésbiennes et jamais de mariages homosexuels (masculins).
En Afrique, le ‘mariage homosexuel’ a toujours été compris sous l’angle de la procréation. En effet, il existait des cas de passage à travers les genres observés dans certains mariages de femmes, veuves ou stériles, qui épousaient des jeunes filles pour qu’elles leur procurent une descendance. Les sens de ces genres de mariages diffèraient de milieu à l’autre. Pour le cas des femmes stériles, le choix du partenaire de l’autre sexe était fait par le mari; la femme concernée payait la dot de la jeune femme et les enfants issus du couple lui reviendront de droit et alors constitueront sa descendance.
Une autre situation : lorsque le mari de la veuve meurt sans lui laisser des enfants, celle-ci paie une dot pour une jeune fille qu’elle épouse légalement. Elle choisit alors, un homme pour cohabiter avec sadite épouse, mais les enfants seront les siens puisque c’est elle qui a payé la dot. Ces deux cas sont vecus chez les Nuer en Ethiopie[5].
Chez les Yoruba du Nigeria, comme chez les Nandi du Kenya, ou chez les Zulu et les Venda d’Afrique du Sud une femme de haut rang épouse en la dotant une autre femme qu’un amant masculin rendra grosse ; la femme noble deviendra le « père » des enfants et leur transmettra selon la règle patrilinéaire son nom, son rang et ses biens.
Comme il est clairement démontré ci-haut, les enfants nés de ce ‘mariage homosexuel’ ne sont pas « naturels » au sens de la loi congolaise qui désigne par ce terme les enfants sans pères-connus, comme ceux produits par l’I.A.D. Ils appartiennent socialement aux personnes qui ont payé les dots et leurs pères biologiques sont également connus, même s’ils n’ont aucun droit sur eux. Voilà qui prouve que la pratique de l’I.A.D. aura encore un long trajet à parcourir avant de pénétrer les sociétés africaines.
Conclusion :
Ces questions sur l’I.A.D. et la société interpellent le sociologue, l’anthropologue, le psychologue et le psychanalyse, le juriste, le décideur politique. Plus profondément encore, elles suscitent l’interrogation du philosophe et du théologien, tout en heurtant des morales établies. Selon certaines morales qui peuvent être traduites en règles de droit, l’I.A.D., même avec le consentement du mari, est assimilée à un adultère et l’enfant ainsi conçu est illégitime.
Dans les sociétés où l’I.A.D. est pratiquée se posent enfin des questions de justice, d’égalité et de solidarité ; l’Etat doit-il, et dans quelle mesure, prendre en charge le coût de la procréation médicalement assistée ? Cette prise en charge éventuelle ne concernera-t-elle que les cas de stérilité avérée, ou faut-il l’étendre à d’autres demandes ? Et surtout : le médecin doit-il donner suite à ces dernières ? Si l’on peut comprendre que le médecin pratique l’I.A.D. dans une perspective sinon curative (l’I.A.D. ne guérit pas la stérilité) du moins palliative qui prolonge la philosophie thérapeutique et naturaliste de la médecine traditionnelle (en l’occurrence, il trouve une voie détournée pour réaliser ce que la nature, pas accident, ne permet pas), ne change-t-on pas de philosophie dès lors que l’I.A.D. est mise au service de la reproduction humaine en dehors de tout couple hétérosexuel ? Ne sommes-nous pas ici au seuil d’une médecine artificieuse au service de demandes émanant de désirs individuels ou collectifs qui empêche de s’aventurer toujours plus avant dans l’artifice : insémination à l’aide du sperme d’un conjoint décédé, fécondation in vitro avec diagnostic préimplantatoire, sélection eugénique d’embryons et choix du sexe, mère porteuse, grossesse post-ménopause, achat d’embryons congelés sélectionnés, reproduction par clonage,…La reproduction humaine apparaît désormais davantage comme une combinatoire de possibilités techniques à la disposition des préférences individuelles ou communautaires que comme la voie unique imposée par la nature.
[1] KANYAMACHUMBI, P., «La dot et la structure clanique du marriage coutumier», dans Revue du Clergé Africain, 1972, t.27, no 2, pp . 127-128
[2] MULAGO, Mariage traditionnel africain et mariage chretien, p. 62
[3] I Roi 3:16-28
[4] art. 602 du Code de la famille de la République Démocratique du Congo
[5] E., EVANS-PRITCHARD, « Kinship and Marriage Among the Nuer», London, Oxford University Press, 1951, p108.

Dr Désiré-Salomon MWENDANGA MUSENGO, PhD Anthropologue (CIBAF)

1 comment:

TMT said...

Du point de vue tradition africaine "ancestrate",votre argumentation est correcte.
Mais le socièté africaine d'aujourd'hui,"occidentalisée",est une réalité impérative à considérer.
Un couple stérile désirant avoir un enfant,peut recourir à l'adoption; Celle-ci présente d'autres problèmes. Exemple: les parents géniteurs qui réapparaissent reclamant l'enfant à raison ou à tord avec comme qu'à l'époque,ils n'avaient pas le moyen finacier de lever cet enfant mais aujourd'hui ils le peuvent.
Ignorer l'identité du père géniteur pourrait contourner cette difficulté? Que pensez-vous?
Si nous pourrions nous mettre à la place de ces couples stériles qui désirents avoir des enfants, vivre leur angoisse, stress,"l'humiliation sociale" de ne pas pouvoir faire des enfants,...j'ose croire que nous aurions d'autres arguments pour trouver le "juste" milieu entre le désire d'un couple stérile à avoir un enfant et la pratique I.A.D.